La petite enquête de Simon sur Les Pigalliers – le marché des musiciens

Les Pigalliers, le marché des Pigalliers en 1920,
par Les Enquêtes de Simon – Christian Séguret

Place Pigalle, entre-deux-guerres. Entre une fontaine Wallace pimpante et quelques professionnelles en début de journée, une vingtaine de musiciens font le pied de grue, col du veston relevé et tapant la semelle pour se réchauffer. Ils s’accostent, échangent les dernières nouvelles du métier, et ne semblent réunis là, dans ce haut lieu des nuits parisiennes, que par un hasard mélomane. Pourtant, tous ces musiciens immobiles courent le cachet. Ces pointures des années folles vont pointer. Le fameux marché des musiciens bat son plein. L’agence pour l’emploi de l’époque tourne à plein régime (pas un hasard si l’ANPE Spectacle s’est installée à quelques encablures quelques décennies plus tard). Les atrabilaires envisageront aujourd’hui le spectacle de ces artistes attroupés comme un triste cheptel à la main du maquignon-chef d’orchestre. Les plus nostalgiques y verront au contraire l’évocation d’une époque bénie où Paris vivait la nuit, où la musique vivante florissait dans le moindre caboulot, à l’ombre de chaque zinc, et où les musiciens insouciants se levaient l’âme sereine sans trop d’angoisse pour le cachet du soir. Parfois une vague courrait le long de la petite assemblée. Un homme venait d’arriver, bien mis. Chaussures bicolores, gabardine en serge, feutre vissé. Un chef d’orchestre. Et commençait la litanie des postes à pourvoir :

«Il me faut un accordéon, un saxo et une guitare pour un bal à Conflans, ce soir… » Et lescandidatures fusaient, les postulants s’annonçantavec ce merveilleux raccourci qui n’est plus guère utilisé que par les anciens du métier : « Je suis saxo ! », « Moi, je suis guitare ! ». Je suis guitare… les psychanalystes se pencheront un jour sur la portée de cette identification. Quel renoncement poétique poussait les artistes de l’époque à se retrancher derrière leur instrument, jusqu’à y fondre leur identité ? Et qui mieux que Django Reinhardt pouvait assumer cette assimilation totale à sa guitare. Lui dont l’aisance époustouflante, l’agilité, la parfaite union avec l’instrument laissait penser qu’il était peut-être né une guitare entre les doigts. Une guitare au corps. Une guitare, lui-même…

Article écrit par Christian Séguret (Guitar & Bass, octobre 1999)

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